Un petit skate trip la Havane de prévu ? Prépare toi a rencontrer pas mal de galères sur la route car le skate y est toujours interdit. Pas de fédération, pas de skateshop, pas d’entraineurs ni même d’espace dédié à la pratique et ce même depuis l’introduction en 2020 du skate aux jeux olympiques de Tokyo. Malgré l’interdiction, une communauté soudée mais fragile continue de faire vivre la scène locale en repoussant les limites et bravant les interdits.
Cette non-reconnaissance s’ajoute aux autres obstacles : dans un pays où le salaire mensuel moyen avoisine les 50 dollars, l’absence de skateshop encourage la flambée des prix sur le marché noir, un skate coûte 50 à 100 dollars alors que le salaire moyen est de seulement 20$ par mois. Che Alejandro Pando, 46 ans, se rappelle de temps bien plus durs encore. Pionnier du skateboard à Cuba, il a commencé au début des années 1980 “Il fallait fabriquer les skates et, pour les roues, inventer, trouver comment tu allais pouvoir les faire, par exemple en utilisant les pales d’un mixeur de cuisine russe”, raconte ce tatoueur. A l’époque, il n’y avait “pratiquement aucun contact avec l’ennemi impérialiste”, c’est-à-dire les États-Unis, donc “même les figures, on a dû les inventer ! » Désespéré par le manque de matériel, la scène locale s’intéresse de plus en pus à internet et les réseaux sociaux : “On a commencé à se filmer et à publier les vidéos sur internet, en demandant de l’aide et en disant que ce serait bien si quelqu’un avait la possibilité d’amener des choses sur l’île ».
A Cuba il existe deux moyens de se procurer un skateboard : connaître quelqu’un qui vit à Miami et fait des allers-retours entre Cuba et Miami, ou espérer que les deux associations qui se sont développées grâce aux réseaux sociaux : Amigo Skate Cuba ou Cuba Skate ait reçu du matériel. Ces associations fonctionnent sur base de dons que ce soit du matériel ou de l’argent, et se chargent de les redistribuer auprès de la scène locale. D’ailleurs il est possible pour les skateurs européens d’envoyer vieux matos, decks, trucks ou vêtements à Amigo Skate Cuba et Cuba Skate. D’ailleurs, notre association La Brigade Darwin embrace ce genre de projets humanitaires en envoyant du matériel et des ressources dans des régions du monde qui en ont le plus besoin. Par le passé, La Brigade à déjà envoyé du matériel en Afrique ou en Ukraine.
Il faut saisir que le skateboard à Cuba était une échappatoire aux défis quotidiens. Les jeunes cubains sont conscients de manquer de nombreuses opportunités et se sentent lésés par rapport à d’autres pays. Beaucoup d’entre eux aimeraient quitter La Havane, mais avec un salaire moyen mensuel de seulement 20 euros, des restrictions sévères sur la migration et la nécessité d’une lettre d’invitation pour voyager à l’étranger, ces jeunes ne sont pas prêts à partir. Ils aspirent à une ouverture sur le monde et à une émancipation vis-à-vis d’un contrôle politique. Malgré l’illégalité du skateboard, les skateurs locaux continuent de s’adonner à des activités illicites telles que la consommation de drogue, les soirées clandestines, le graffiti, et autres.
Qu’est-ce qu’une session de skateboard à Cuba ?
Les skateurs se rassemblent souvent en fin d’après-midi, vers 17 heures. Le lieu de rendez-vous privilégié pour une grande partie de la scène skateboard de La Havane est “La Rambla”, située dans le quartier de Habana Vieja. La police cubaine effectue régulièrement des patrouilles, lançant ainsi un jeu du chat et de la souris. Les plus audacieux risquent de se retrouver au poste de police, d’autres se voient infliger des amendes, tandis que les plus prudents obtiennent le droit de rentrer chez eux. Tout dépend des directives de la police, qui peuvent varier entre le contrôle et l’interdiction. Ce qui est le plus injuste, c’est que toutes les autres activités de rue, telles que le baseball, le football, le roller ou le BMX, sont autorisées, alors que le simple fait de posséder quatre roues, deux trucks et une planche en bois semble menacer l’ordre public.
Malgré ces obstacles, les sessions de skateboard à Cuba sont souvent longues et intenses, bien que l’état dégradé du bitume limite la pratique. La Rambla est au skateboard havanais ce que la Place de la République est aux skateurs parisiens. Les jeunes de tous âges s’y retrouvent pour s’amuser, se taquiner, mais certains sont plus sérieux que d’autres. Une minorité considère le skateboard avec sérieux, prenant seulement de courtes pauses dans l’espoir d’atteindre un jour le niveau des professionnels européens ou américains. Cependant, les Cubains restent prudents, conscients du niveau mondial élevé et du retard accumulé sur des années.